Ceci n’est pas un témoignage. Il est hors de question pour moi que je livre un récit d’abus sexuel, un récit des périodes les plus sombres de ma vie, un récit autobiographique, dans un espace aussi impudique et sourd qu’internet. Il est déjà trop pénible pour moi de devoir écrire ces lignes dans un blog au nom aussi débile et qui a d’abord soutenu Paco. Je ne vais pas, en plus, me soumettre à un dispositif qui me précède, que je n’ai pas choisi moi-même avec d’autres survivantEs de Paco et dans lequel je suis sensé me justifier : celui d’une « commission d’enquête militante ». Le « tout un chacun » qui est sensé se « faire son opinion » ici est aussi composé de flics ; de journalistes ; de gens à qui je n’ai rien à dire ; de mon ennemi : Paco. La résurgence du « mouvement anarcho-autonome-pédophile » pourrait bien devenir la prochaine panique morale avec ce genre de procédé spectaculaire et irréfléchi. Et puis que mon témoignage puisse se trouver en vis-à-vis avec un texte signé de Paco, dont j’ai fait un art de me tenir à distance, me donne subitement envie de vomir.
Je pense qu’avec la création d’un groupe d’auto-soutien, il est temps pour le CAAAT de se dissoudre et de se faire un peu oublier.
Mais avec la publication des témoignages, et d’un texte en défense de Paco absolument sidérant de nullité, il est hors de question aussi que je laisse seulEs des copains et des copines qui ont eu le courage de parler dans l’immensité froide du web. Il est hors de question que je laisse qui que ce soit être en mesure de les traiter de menteurs. Il est hors de question que je laisse croire que Paco s’est fait virer du Rémouleur sur la base de rumeurs. Il est hors de question que je laisse tomber les personnes lucides qui luttent depuis des années pour tenir Paco à distance et dénoncer ses pratiques et je veux leur donner raison, mais aussi les remercier. Il est hors de question que je ne soutienne pas les gens grâce à qui je peux parler aujourd’hui, grâce à qui une dynamique d’auto-organisation de survivantEs existe et grâce à qui je me sens un peu plus en sécurité.
Pour toutes ces raisons, je vais m’exprimer ici. Ça n’est certainement pas un témoignage que je vais apporter, mais des mots de colère. Ce ne sont pas des « preuves » mais des sentiments subjectifs. Je ne m’adresse pas à une quelconque « communauté de lecteurs » sensée se faire une idée sur la situation, j’écris pour des camarades, pour les survivantEs d’agressions, pour mes amiEs. Les autres, ceux qui veulent des détails croustillants et des récits convaincants, sont la boue dans laquelle Paco prospère depuis trop longtemps maintenant.
PREMIER ACTE – COMMENT IL M’A POSSÉDÉ.
Scène une – Les malheurs de la vertu libertaire.
J’ai rencontré Paco en 2007, peu de temps après mes 18 ans, il avait la cinquantaine. J’étais un garçon plutôt mignon et solitaire. Je me revendiquais très volontiers anarchiste. Il est entré dans ma vie à un moment où j’étais isolé, politiquement et existentiellement. Il a alors trouvé des mots pour me consoler. Il était sympa. Il disait être anar. J’ai cru que je pouvais avoir confiance en lui. Alors, par ruse, il m’a approché et il m’a piégé. Longtemps.
« – Tu deviens bien tactile dis-donc… – Ça te dérange ? – Tant que tu n’essayes pas de me rouler une pelle… » et il essaye de coller ses lèvres aux miennes. Je suis tétanisé et il rigole, ce qui ne détend pas l’atmosphère. Il est collé à moi. Je le repousse avec toute la fragilité du monde. Je n’ai aucune expérience en matière d’auto-défense, physique et émotionnelle.
Paco a trouvé bien des malices pour se trouver dans mon lit. Pour me déshabiller. Pour m’embrasser sur la joue. Pour m’embrasser dans le cou. Pour foutre sa main (sale) dans mon froc et en explorer le contenu. Il ne demandait jamais avant d’agir et me mettait toujours devant le fait accompli que c’était à moi de verbaliser un NON. Et j’ai parfois trouvé la force, je ne sais pas trop où, de dire NON. Et pourtant il insistait, il recommençait, il savait ce qu’il faisait. Il confondait les indices de la surprise, de la peur et de la honte avec ce qu’il interprétait comme les indices du désir. Pour lui, quelqu’unE qui se raidit de trouille, que la gêne empêche de respirer, qui se dérobe souvent, qui dit NON timidement, qui dit NON posément, c’est quelqu’unE qui dit oui. Pour lui, quelqu’unE qui ne lui casse pas sa sale gueule et ne le gicle pas définitivement hors de sa vie, c’est quelqu’unE qui dit oui.
Scène deux – Être sa propre prison.
Mais surtout, Paco a su pénétrer mon existence plus que ma chair, d’une manière si totale que je ne pouvais plus penser par moi-même et être en mesure de comprendre que je vivais une situation de harcèlement, d’attouchement non consenti et de viol. Ce qu’il faut comprendre, c’est que Paco a des compétences de manipulation mentale et d’intimidation intellectuelle hors du commun. Il n’a peut-être pas l’air comme ça, mais il peut déployer un véritable charisme.
Il choisit l’essentiel de ses cibles, que je connaisse, dans la « petite bourgeoise » et dans un milieu politique où il faut montrer quelques lettres de noblesse prolétariennes pour exister : le milieu libertoïde. Il utilise cela pour créer un sentiment de culpabilité très fort et déstabilisant : « Si tu es révolutionnaire, pourquoi est-ce que tu ne couches pas avec moi ? » ; « Qu’est ce que tu crois avoir de si exceptionnel ? Tu es comme tout le monde, tu veux du cul » ; « C’est ta morale bourgeoise qui t’empêche de te libérer, laisse toi faire » ; etc. Comme chacunE sait, et pour le dire vite, la petite bourgeoisie a un besoin désespéré de distinction – pour se tenir à distance des classes populaires et se rapprocher de la grande bourgeoisie, de l’aristocratie, dont elle convoite les apparences. La distinction sexuelle, la radicalité politique et la consommation culturelle savante et d’avant-garde, sont des moyens, pour cette classe essentiellement superficielle, d’exister. Et donc, quoi de plus distinctif que de se venter de coucher avec un vieillard dégoûtant ? Quoi de plus radical ? Quoi de plus délicieusement sulfureux, décadent, libertaire et postmoderne ? C’est assurément un moyen original pour racheter ses origines que d’avoir le plus improbable et répugnant des amants.
C’est ainsi que j’ai moi-même douté, supporté et peut-être, dans une certaine mesure, collaboré. C’est en jouant de cela que Paco parvient à légitimer des relations non consenties ; c’est ainsi qu’il peut mettre dans la tête de quelqu’unE que son NON était un oui, inconscient et coupable.
De plus, Paco a quelques compétences de savant. C’est un représentant de ce que l’université fait de pire : un faux autodidacte en manque de reconnaissance qui utilise ses connaissances pour intimider un public de vrais autodidactes, qui n’est pas armé pour lui répondre sur son terrain. Il se vente de familiarité avec quelques auteurs prestigieux, pérore sur quelques concept abstraits qu’il ne comprend pas lui-même, aligne quelques contradictions logiques et semble très fier de lui. Ça n’est pas une manière de faire réfléchir, mais de faire taire. Se venter d’avoir le titre de docteur, citer des auteurs prestigieux devant un public impressionnable, disqualifier ad-hominem (« t’es bourgeois » etc.) le raisonnement d’une personne qui se forme une idée sur le monde, constitue ce qu’il faut appeler une entreprise d’intimidation intellectuelle. Paco a fait une thèse en sociologie, sous la direction de Gilbert Durand, avec Michel Maffesoli comme président de jury, sur l’imaginaire astrologique et le père Noël – qui ne contient pas une ligne d’enquête sociologique. Sa thèse aurait pu constituer un scandale aussi énorme que celle d’Elisabeth Tessier – une thèse de sociologie qui ne parlait que de l’alignement des astres – si le jury n’avait pas jugé que sa thèse était « bâclée » et « très fautive ». Mais ça, je ne le savais pas à l’époque. Paco compense la médiocrité de son discours savant avec de la mystique. Il voulait me lire les lignes de la main je me souviens. Je cédai une fois à ce jeux. « Oh ! La belle ligne d’intuition ! Il faut travailler ça mon petit » (tu parles, si j’avais de l’intuition, tout ça ne me serait jamais arrivé). Je lui expliquais à l’époque que mon problème n’était pas tant de croire à ce qu’il disait, car si les astres font les marées, je voulais bien croire qu’ils puissent avoir une influence quelconque sur la vie humaine, mais que son discours était anti-libertaire. Aujourd’hui je le formulerais ainsi : en prétendant accéder à des arrières-mondes, en tenant un discours sur ce qui ne peut se dire clairement, le mystique se constitue en une caste de privilégiés détenteurs d’une vérité révélée. De l’idéologie völkisch du nazisme à la croyance dans la main invisible du marché, le mysticisme a partie liée avec toutes les formes d’autoritarismes. Il trouvait intéressant ce que j’essayais de dire mais ne démordait pas sur le fait que j’étais vierge et qu’il était bélier (ou était-ce du porc ?), signes opposés et que donc nous accoupler serait certainement très très intéressant (et il riait ! Et moi j’essayais d’avaler ma salive).
J’entends que ça t’interroges. Comment ai-je pu tolérer tout ça ? Comment peut-on être aussi bête, candide, faible ? Ce sont des questions que je ne peux pas m’empêcher de me poser moi-même et qui ont largement contribué à ce que je garde le silence : je me sens parfois ridicule, humilié, fragile. J’ai intériorisé l’idée que j’ai pu contribuer à ma propre situation d’agression et donc, que j’en suis coupable. « Si elle ne dit pas non, c’est qu’elle dit oui » dit le gendarme à la plaignante, dont il trouve la jupe un peu courte. Paco a mis un gendarme dans ma tête et c’est ce gendarme qui m’a trop longtemps fait taire.
ENTRACTE – RÉFLEXIONS INTERMÉDIAIRES SUR L’ÉROTISME ET LE CONSENTEMENT.
Il y a toute une tradition intellectuelle de réflexion sur l’érotisme. Paco ne la comprend pas. Mais il mobilise ces références pour donner de l’autorité à ce qu’il dit. Il ira trouver le marquis de Sade pour donner un côté chic à la morbidité amoureuse. Il ira trouver Reich pour t’expliquer que la première des révolutions doit être sexuelle ; que les fascistes sont des frustrés et que, donc, les frustrés sont des fascistes ; que c’est l’accumulation d’orgone qui génère les névroses et que donc il faut, dans l’urgence, baiser. Il ira trouver Foucault pour dire que toute relation sexuelle est une relation de pouvoir et qu’il faut assumer cet épistème indépassable de notre modernité. Il ira trouver une version abrégée de Deleuze pour expliquer qu’il est un mutant post-sexuel. Il ira trouver Pasolini pour faire artiste. Je l’ai aussi vu trouver une caution chez Tiqqun, dont l’antiféminisme navrant dans des textes comme « Théorie de la jeune fille » ou « fâmes de la zad » est bien connu, pour appeler à une insurrection sexuelle qui viendrait. Bien sûr, de tous ces auteurs il n’a lu que la quatrième de couverture – sauf peut-être de Maffesoli, dont le relativisme débile le conforte dans l’idée qu’il incarne une avant-garde astrale.
En tout cas, toutes ces injonctions à la libération sexuelle me semblent typiques d’une génération de hippies qui confondent l’autodétermination sexuelle avec l’appropriation sexuelle sauvage et généralisée, c’est-à-dire la loi du plus fort. Il faut en finir avec cette fausse libération.
Je ne voudrais pas faire un exposé intello ici beaucoup plus longtemps. Simplement, il y a des clarifications que je veux faire. Il y a une distinction en effet, mais aussi un lien à faire, entre le fait que Paco soit attiré par des garçons jeunes, voire très jeunes, et le fait qu’il agisse sans leurs consentements. Le premier a à voir avec la frontière toute sociale qui est faite entre majorité et minorité et qui est très problématique. On trouvera chez un philosophe comme René Schérer une réflexion construite, pas trop débile, sur la possibilité d’une pédophilie où l’enfant est « à la recherche de lui-même dans une relation d’égalité et d’attraction passionnée avec des adultes amoureux ». On peut évidemment être choqué par cette idée, plutôt théorique et naïve au demeurant – et on peut d’ailleurs s’interroger sur qui parle ici : car ça n’est pas un enfant. Pour ma part, je ne me prononce pas là-dessus ici mais sur la confusion que Paco fait entre « une relation d’égalité et d’attraction passionnée » et l’usage absolument inégalitaire de l’autorité (liée à son âge, à son expérience de taulard, à ses diplômes ou à sa force physique) pour arriver à satisfaire un désir dissymétrique – où « l’attraction passionnée » se confond largement avec la culpabilité, la honte, la peur et l’absence de consentement. Le problème n’est pas tant qu’il entretienne des relations avec des garçons de l’âge de son fils, c’est qu’il use de cette différence d’âge comme d’un pouvoir pour harceler, toucher, coucher, forcer.
Ensuite, on peut trouver des auteurs qui fondent l’idée d’une érotique où le consentement est absent. Ces auteurs, en voulant se distinguer de ce qu’ils identifient comme l’érotisme « mainstream » et « straight », occultent des pans entiers des possibles érotiques. Je pense notamment à Georges Bataille. Bataille en effet définit, tel que je le comprends, l’érotisme comme une profanation, un dévoilement de ce qui est caché, une jouissance dans la transgression des interdits – et on a pas besoin de lire de très près l’auteur pour comprendre que c’est un homme qui parle de déshabiller et de s’approprier le corps des femmes. Sauf l’amour que j’ai pour certaines pages de l’œuvre de Bataille, je crois que cette conception de l’érotisme est, d’un point de vue anarchiste et féministe, l’ennemi à abattre. C’est précisément la définition de l’érotisme dominant que nous donne Bataille : objectivation du corps de l’autre ; manipulation et mépris ; hétérocentrisme ; c’est un sexe quantitatif et excessif plutôt que relationnel ; performant plutôt que lattant ; même pas drôle etc… L’idée que l’érotisme peut être symétrique, relationnel, échappe complètement à l’auteur, qui était fasciné par le sexe sombre et violent. Pourquoi alors ne pas inventer une érotique du consentement explicite, c’est-à-dire du consentement verbal ? Pourquoi ne pas imaginer des formes d’érotisme symétriques, fondées sur la confiance ? Pourquoi ne pas prendre le temps d’inventer des relations où personne n’aura besoin d’avancer masqué ; où on ne sera pas en concurrence sur le marché de l’offre et de la demande sexuelle ; où dire NON sera une chose simple, courante, évidente, attendue ? Mais parce que ça remettrait en question les habitudes des dominants bien sûr ! Inventer des relations où la verbalisation du consentement serait centrale forcerait toute la classe sexuelle des dominants à renoncer à leurs privilèges.
C’est un idéal excessivement difficile à atteindre, un style de vie, qui remettrait en question beaucoup de nos habitudes (de fierté, de timidité, de plaisir, de gène, de tabou). Demander, discuter, ne pas être pressé dégage des espaces pour la confiance et pour des relations plus heureuses. Surtout, cela dégage l’espace pour dire NON et pour que ce NON soit entendu – sans que ce soit une tragédie génératrice de culpabilité. C’est parce que je croyais avoir affaire à un type bien, à un anarchiste, à un philosophe, que j’ai laissé rentrer Paco dans ma vie. C’est parce que je pensais qu’on était des être de parole. C’est parce que j’étais encore un enfant, parce que je croyais que c’était un adulte et que, en tant qu’adulte, il savait ce que NON voulait dire.
C’est ce NON que Paco n’a pas voulu entendre, parce que ça lui aurait demandé de renoncer à ses privilèges ; parce que aller se branler ailleurs, seul, pour satisfaire son désir, lui aurait demander de renoncer à sa carrière sexuelle, à l’impérieux besoin d’accumuler des conquêtes qui l’habite – et qui l’habite tant, qu’il ruse et abuse pour le réaliser.
Je ne crois pas du tout avoir dit ici tout ce qu’il y a à dire sur le consentement, loin de là. Mais j’espère avoir coupé définitivement l’herbe sous le pied de l’élaboration théorique que Paco peut encore essayer de vociférer ici ou là pour justifier sa prédation.
Pour aller plus loin sur cette question du consentement, il y a un texte que j’aime beaucoup, en anglais, « Learning good consent » qui est ici.
Un équivalent français d’une partie seulement de cette brochure existe sur Infokiosque, que je sache la brochure complète n’a pas été traduite. Il s’agit d’une série de cent questions sur le consentement. Je pense que tu peux utiliser ces questions comme un jeux, en les posant à voix haute et en les discutant, dans le cadre de réunions, mixtes ou non mixtes, dans celui d’une relation amoureuse ou bien d’un moment convivial entre amis. Tu la trouveras ici.
Je pense qu’une activité du groupe d’auto-soutien pourra être, entre autre choses, de recenser et produire du matériel sur le consentement.
SECOND ACTE – AU SOLEIL DE L’EXPÉRIENCE.
Scène une – Comment j’ai attendu jusqu’alors.
J’ai longtemps essayé de sublimer mon histoire en me persuadant que j’avais choisi cette situation et que, effectivement, j’avais eu la chance de vivre une expérience sexuelle monstrueuse, parfaitement libertaire parce que niant l’interdit de l’inceste, de la pédophilie et bien sûr de l’homosexualité. Je parlais d’un choix suprêmement individualiste, suprêmement aristocratique, suprêmement méprisant pour la vie et ses normes. Cette justification, c’est lui qui me l’avait mise en tête. Elle me permettait de garder la face. J’adhérais à un discours plus flatteur que celui qui me venait de mon cerveau gauche : j’avais survécu aux harcèlements et aux attouchements, sans mon consentement, d’un satyre lubrique. C’est grâce à des rencontres, grâce à des lectures, en grandissant, que j’ai compris ce que j’avais vécu.
J’ai mis Paco à distance, à grande distance. Plus de contact. Mais par les voies de la probabilité plutôt que par celles des astres, Paco s’est régulièrement trouvé sur mon chemin. Furetant, posant, me cherchant, il était toujours là où il pouvait jouer le petit chef et le suprême théoricien. Il m’a pris en filature plusieurs fois dans des manifs, dans des lieux de vie, dans des villes, dans mes cauchemars. Il ne cherchait pas à me parler ; il voulait peut-être m’intimider mais surtout me surveiller : savoir à qui je parlais, si j’avais une copine ou un copain, dans quels réseaux j’étais, où je vivais, si j’étais hostile et peut-être même si j’étais armé. Il voulait contrôler l’information pour prévoir la prochaine attaque. J’ai pris le parti longtemps de l’ignorer, de le fuir, de lui laisser le terrain. À la limite, si je devais lui passer à côté, j’affichais mon dégoût et mon mépris pour sa personne par une grimace, la retenue de ma respiration et un regard au-delà de lui – parce que pour moi, cet homme est tellement vide qu’il laisse passer la lumière. Mais je sais aujourd’hui que je ne suis plus seul et que je peux me confronter avec lui sans peur. Je sais qu’il est lâche et qu’il est faible. Pas moi.
Je n’ai jamais répandu la rumeur qu’il était un flic. Mais j’ai pu dire en plusieurs occasions qu’il était mon flic personnel, qu’il avait fliqué mon corps et ma vie, qu’il flique la philosophie comme il flique tout ce qui est jeune, mignon, avec une personnalité généreuse et idéaliste. J’ai pu dire que Paco n’était pas un anarchiste ; un communiste libertaire ; un autonome ; un situationniste ; un conseilliste ; un spontex ; un hippie ; un punk ; un poète postmoderne ; un sociologue astral ; un philosophe mutant ; ou un théoricien queer – toutes ces étiquettes qu’il brandit comme des grigris, avec lesquelles il jongle comme si elles étaient interchangeables devant un public de bigotEs qui ne sont pas en mesure de dénoncer la supercherie. J’ai pu dire qu’il n’était rien de tout ça mais un parasite, une nuisance, un abruti et un tartuffe. J’ai pu dire qu’il avait beaucoup d’ennemis qu’il était capable de vendre. J’ai pu dire qu’il avait le profil type d’une balance. J’ai pu dire son cynisme et que je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il fait un travail d’indic pour arrondir ses fins de mois difficiles. J’ai pu dire qu’il fallait se tenir à distance de lui, des ses mains et de ses petits yeux, comme d’un flic.
Scène deux – Comment ne pas soutenir unE survivantE d’agression sexuelle.
Lecteur, tu as peut-être trouvé barbantes et hors sujet toutes ces considérations sur l’érotisme, le consentement et l’usage que Paco fait de la théorie. Mais ce que je veux bien que tu comprennes, c’est la puissance d’intrusion de Paco dans la tête des autres, son charisme, et les ressources qu’il faut pour s’en défendre. Car on a tous des dispositions à justifier les agressions sexuelles, y compris la sienne propre, qu’on acquiert et qu’on renforce au quotidien. Pour t’en convaincre, regarde la pub dans le métro, l’affaire du viol de Nafissatou Diallo ou la manière dont nous avons attendu des années pour prendre le cas de Paco en main. Il nage dans tout cela comme un poisson dans l’eau.
J’ai trop souffert tu vois de ceux et celles qui ne comprenaient pas cela. Une personne avec qui je partageais une histoire d’amour m’a un jour dit que j’avais peut-être un peu cherché cette situation, que je l’avais bien voulu et que les torts étaient partagés – j’exècre depuis, ce relativisme typiquement libéral qui veut distribuer les torts équitablement pour pouvoir faire l’économie du jugement. Il y a quelques temps, une camarade aux convictions féministes profondes, et qui demeure une amie très chère mais que je veux citer ici, me disait de manière spontanée et parce qu’elle ne connaissait pas mon histoire : « je comprends pas les mecs qui sont avec Paco. Faut être con : il est même pas beau ». J’ai eu si honte ! Il va sans dire que ce genre de raisonnement, a fortiori quand on l’a soi-même acquis sur son propre compte, ne contribue pas à libérer la parole et maintient les survivantEs d’agressions sexuelles dans le silence. Il y a quelques jours, je demandais de l’aide à un garçon plus vieux que moi, en qui je croyais pouvoir faire confiance et trouver quelques bons conseils, pour faire face à la situation dans laquelle je suis aujourd’hui. Il m’a dit que « si des choses se répètent dans ma vie, il fallait que je me pose des questions » (c’est-à-dire qu’il fallait que je me demande si je n’étais pas une victime née), que tout ça relevait de la psychologie, du privé, qu’il ne voulait pas lire mon texte, que je devrais passer à autre chose, cesser de l’importuner, et puis il a pris la fuite. Qu’il aille au diable celui-là ! Ce qui se répète dans ma vie, c’est que je laisse trop souvent une deuxième chance à des cons.
Beaucoup de gens à qui j’ai voulu parler de mon histoire avec Paco se sont montrées gênées, se sont un peu défilées. Ces réactions sont compréhensibles. Je préfère qu’on me demande un petit moment pour respirer, pour réfléchir, ou d’en reparler plus tard dans un autre cadre, plutôt qu’on me dise une chose irréfléchie et spontanée qui ne fasse que révéler l’inconscient social commun sur le viol. Ce qui est blessant ce sont les réactions spontanées de scepticisme, les questions pleines de soupçons, les remarques qui vous font comprendre qu’on vous prend pour un mytho, qu’on vous prend pour quelqu’un qui essaye de se rendre intéressant. Le pire c’est l’ignorance, les gens qui ne veulent pas vous écouter quant vous avez décidé de leur parler. Réagir comme ça, c’est collaborer avec Paco. Et dans le rang des collabos, j’ajouterais ces gens qui ferment les yeux pendant des années sur les agissements de Paco ; qui le défendent passionnément ; qui forment un comité de soutien quand des personnes saines d’esprit le virent du Rémouleur ; qui font des bouches toutes rondes quand on leur dit qu’ils défendent un prédateur sexuel et qui s’empressent, pour se racheter, de faire des appels à témoins et d’affecter la neutralité.
Et je réalise aujourd’hui avec horreur combien j’ai pu collaborer moi-même avec Paco en cherchant à oublier plutôt qu’à me confronter à mon passé. Je n’ai pas su retrouver certainEs survivantEs, pour en discuter, pour savoir si ilLE n’étaient plus harcelléEs, surveilléEs et possédéEs par lui – sans leur consentement. Je n’ai pas su aller vers ces jeunes gens qu’on aperçoit parfois dans son orbite, leur parler, les prévenir et faire preuve du minimum de solidarité entre oppresséEs – cette solidarité qui est au principe du féminisme et de l’anarchisme.
Scène finale – De la nécessité de nous organiser.
Mais ces réactions que j’ai rapportées, révèlent aussi un défaut énorme de réflexion, de formation et d’organisation sur ces questions – dans nos milieux, mais aussi ailleurs. Quand des gens qui ont la tête froide virent Paco, dans des lieux de vie, à Paris, sur la Zad, ailleurs, qu’ils s’en expliquent publiquement et qu’il se trouve quand même des bonnes âmes pour le défendre et demander des preuves, je crois qu’il y a un problème urgent qui nous demande de ne plus procrastiner.
Je vais peut-être faire grincer quelques dents ici.
Je crois qu’appeler à un recours d’exception à la justice bourgeoise pour Paco révèle autant une carence de réflexion que la réponse de Non-fides – et encore une fois, merci de ton témoignage et merci infiniment du soutien ferme de Non-fides. Je ne devrais pas dire une carence de réflexion, parce que vous semblez bien y réfléchir tous, mais d’une carence d’alternatives concrètes à la police et à sa justice. Car, quoiqu’on puisse faire pour le lui disputer, l’État peut toujours se définir par son quasi monopole de la violence et parvient toujours à le faire passer pour légitime. Il dispose de moyens suffisamment colossaux pour nous retenir dans des écoles ; pour nous empêcher de penser en dehors de ses catégories ; pour enfermer des gens dans des prisons. Il est capable de prélever l’impôt et de le redistribuer ; d’animer des appareils gigantesques comme les hôpitaux et les armées ; de fixer des lois.
Nous sommes loin d’avoir ces moyens – et tant mieux. Mais si nous ne voulons pas recourir à la police et à sa justice, il va falloir faire mieux que de tenir Paco éloigné de « nous » – par la force de la honte que nous voulons qu’il ressente, ou par la contrainte physique. Car ce « nous » pose problème. Il n’y a pas, pour moi, un milieux libertoïde homogène dans lequel Paco nuirait et qui serait suspendu à ce blog, comme si c’était un instrument interne de communication (peuh !). Il y a des divisions, des inimitiés, des milieux séparés. Et Paco utilise ces divisions depuis des années pour se protéger. Il sait trop bien manipuler nos différences et nos différents (c’est ainsi qu’il jette un voile pudique de spontanéisme sur sa prédation sexuelle pour expliquer que la FA ne l’aime pas). Il navigue entre nos hésitations à juger d’un comportement à l’aune d’une règle – comme celle du consentement – et notre incapacité à proposer une alternative à la justice telle que nous la rejetons. Il gagne du temps, parce que nous sommes des gens sensibles et que nous doutons de tout. Il suscite la pitié, parce qu’il ressemble tellement caricaturalement au pervers qu’il est, qu’on n’arrive pas à croire qu’il le soit et qu’on imagine que c’est une pauvre, pauvre victime.
Parce que l’État tente, avec succès, de monopoliser la violence, très peu d’entre nous sommes compétents pour faire face à des situations de violence physique et émotionnelle. Très peu d’entre nous savent assumer le conflit, autrement qu’en matière de théorie. Très peu d’entre nous sommes formés à la violence, parce qu’au quotidien, insensiblement et discrètement, nous sommes amenés à sous-traiter celle-ci auprès de professionnels de la pacification : les flics. De la même manière, parce que la justice monopolise le jugement et que nous ne sommes que rarement amenés à assumer une décision comme celle de punir quelqu’unE comme Paco, nous sommes désarmés pour imaginer autre chose que de le rejeter en dehors de nos territoires – c’est-à-dire renvoyer à d’autres le problème et indirectement, encore une fois, sous-traiter le sale boulot du jugement à l’État. Nous sommes même désarmés pour proposer des catégories de pensées autres que celles du jugement et de la punition !
Je crois que Paco joue de ce paradoxe qui nous habite et qui suscite chez nous une certaine mauvaise foi.
Et puis ce « nous » questionne ce « eux ». Je ne crois pas que le milieux libertoïde – a fortiori le petit milieu parisien, avec toute son histoire et sa complexité – soit le seul monde dans ce monde. Je ne crois pas qu’en rejetant Paco hors de ce milieu nous réglions le problème. Il ira nuire ailleurs, en France, en Europe… Il ira à la périphérie du milieu, dans des espaces où l’on ne le connait pas encore. Il ira vers des gens naïfs et généreux et il leur fera du mal. Il ira chez « eux ». Et il reviendra comme il revient toujours ! C’est pour ça que je pense qu’il faut penser une stratégie, pour que des témoignages circulent de la main à la main, de manière sécurisée mais large. Il faudra aussi penser une procédure d’éloignement de Paco qui soit intelligente, cohérente, ferme et qui ne soit ni une parodie de la justice des flics, ni la sous-traitance du problème par d’autres, ni une vague déclaration d’intention.
C’est un défit pour « nous » : si nous sommes capables de nous organiser pour que Paco cesse de nuire, les compétences que nous en tirerons, les idées et les pratiques, seront transposables à d’autres cas. Le milieux libertoïde n’est pas un monde dans ce monde. J’aimerais bien ! Mais je crois que c’est un espace où le sexisme, le racisme, le classisme, le validisme et toutes les formes de dominations et de violences, s’expriment avec autant de férocité que partout ailleurs dans ce réel. Si nous parvenons à nous organiser pour faire face à lui, on pourra mesurer l’écart entre le monde tel qu’il est et le monde tel qu’il pourrait être.
Je signerai Justine, du nom du personnage de Sade. Pas parce que je suis une éternelle victime de mes vertus, mais parce que Justine essaie d’agir en cohérence avec ses idées et qu’elle survit à tous ses bourreaux – sauf à Sade.
Source : http://www.non-fides.fr/