Dix-neuf policiers blessés dont deux sérieusement : la manifestation Goodyear de jeudi, l’une des «plus violentes» contre les forces de l’ordre parisiennes depuis plusieurs années, illustre la radicalisation croissante des mouvements sociaux, une évolution que dénoncent policiers et responsables politiques.
«C’est la manifestation la plus violente qu’on ait eue sur Paris depuis au moins quatre ou cinq ans», affirme le directeur de l’ordre public et de la circulation (DOPC), Alain Gibelin, depuis 27 ans dans le métier.
Jeudi, quelque 400 salariés, selon une source policière, de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord ont violemment manifesté devant le siège français du fabricant de pneus à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), à l’occasion d’un nouveau comité central d’entreprise sur le projet de fermeture du site, projet qui menace 1.173 emplois directs.
Alors que sur toute l’année 2012, la PP a déploré 68 policiers et gendarmes blessés en service lors des 6.665 manifestations qu’elle a encadrées, dans la seule journée de jeudi, elle en a recensé 19, dont deux avec des incapacités totales de travail (ITT) de 14 et 23 jours. Du côté des manifestants, les syndicalistes annoncent six blessés.
Barres de fer transformées en javelots, grilles d’égout en fonte, arceaux de parking, panneaux de signalisation descellés, morceaux de chaussée goudronnée… Entre 11H00 et 14H00, les Goodyear ont transformé en roquette tout ce qui leur passait sous la main ou sous les pieds.
Danger de mort
«Ca a été une pluie ininterrompue de projectiles durant trois heures», raconte la PP, tout en s’interrogeant sur la volonté des manifestants de blesser délibérément ou non les 120 CRS déployés sur le barrage.
«Personne ne peut ignorer qu’en jetant de tels projectiles, il y a potentiellement un danger, voire un danger de mort», dit M. Gibelin.
Dès jeudi soir, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a condamné cette «violence». De Guyane où il était en déplacement, il s’est dit «pleinement conscient du désarroi et de la détresse de nombreux salariés», mais a rappelé «cependant que rien ne saurait justifier que les forces de l’ordre soient les cibles de violences».
Jeudi, un seul manifestant a été interpellé et placé en garde à vue, avant d’être relâché. Mais selon des sources policières, le ministère pourrait engager d’autres actions en justice.
Dans un communiqué, le Syndicat de commissaires de la police nationale (SCPN) «condamne avec la plus extrême fermeté les comportements inadmissibles de ces manifestants qui ont délibérément cherché à blesser gravement les policiers».
Même déluge de réactions sur la scène politique. Tandis qu’Arnaud Montebourg appelait à éviter «l’affrontement» et que les élus socialistes de Picardie «condamnaient» le «recours à la violence», le Nouveau parti anticapitaliste jugeait «légitime» la révolte des salariés, accusant Manuel Valls d’être un «bon petit soldat du capital».
Du côté des syndicats, on se montrait peu compréhensif. «Ce déploiement de forces de l’ordre, c’est de la provocation», s’était emporté dès jeudi Philippe Dufaux, depuis 13 ans à Amiens-Nord. «On entend dire qu’on est violent, mais ce n’est que de la légitime défense. Nous ce qu’on veut, c’est juste protéger nos familles».
«On veut nous faire passer pour des voyous. On dérange», se plaint pour sa part Mickaël Mallet, élu CGT, qui reconnaît «un peu d’affrontement» mais «pas de violences». Selon lui, les manifestants ont été provoqués. Les policiers «ont reçu des coups, des cannettes. Mais nous aussi on en a pris», rapporte-t-il, évoquant une personne qui a dû recevoir 27 points de suture et une élue du CCE «gazée à l’œil» alors qu’elle ne faisait pas partie des manifestants.
«Je ne dis pas que c’est la bonne solution», reconnaît-il, «mais on est tous pris à la gorge, on ne veut pas perdre notre boulot. On n’y va pas de gaieté de cœur. Quand je viens à Paris, je ne me dis pas : on va attraper un CRS et on va le déglinguer. C’est un père de famille comme moi».
«M. Valls dit qu’il y aura des poursuites». Pourtant, assure-t-il, «on n’est pas des délinquants. (…) Si on est là, c’est aussi à cause du gouvernement, qui ne fait rien pour les ouvriers, à part les presser».
Source : Presse policière (Libé)